
La transition énergétique dans le secteur automobile connaît des trajectoires différentes selon les technologies. Alors que les voitures électriques à batterie lithium-ion gagnent rapidement du terrain, offrant une autonomie croissante et des temps de recharge optimisés grâce à un réseau de bornes en expansion, la voiture à pile à combustible, longtemps présentée comme une alternative zéro émission prometteuse, semble aujourd’hui dans une impasse. Toyota, pionnier des véhicules hybrides avec sa Prius et fervent défenseur de la technologie hydrogène, fait face à une chute historique des ventes de sa berline Mirai en 2024, remettant en question l’avenir de cette motorisation dans le transport individuel face aux véhicules électriques et hybrides rechargeables.
Une chute vertigineuse des ventes en 2024
Année | Ventes mondiales |
2015 | 700 |
2016 | 2000 |
2017 | 2700 |
2018 | 2400 |
2019 | 2500 |
2020 | 1770 |
2021 | 5918 |
2022 | 3800 |
2023 | 4023 |
2024* | 1702 |
Les chiffres sont sans appel : entre janvier et novembre 2024, Toyota, l’un des plus grands constructeurs automobiles mondiaux, n’a écoulé que 1 702 véhicules à pile à combustible à hydrogène dans le monde, accusant une baisse drastique de 54% par rapport à la même période en 2023. Cette situation est d’autant plus préoccupante que près de 30% de ces immatriculations, soit 500 véhicules fonctionnant à l’hydrogène, sont destinés aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Les ventes réelles de voitures équipées de cette technologie fuel cell avoisinent donc les 1 200 unités, un niveau historiquement bas rappelant celui de 2020, année pourtant marquée par la pandémie de Covid-19.
Un déclin généralisé sur tous les marchés
Le Japon, marché historique et stratégique pour Toyota, premier constructeur à avoir commercialisé des véhicules hybrides à grande échelle, n’échappe pas à cette tendance baissière. Avec seulement 661 unités de véhicules à pile à combustible vendues depuis le début de l’année, contre 1 525 sur la même période en 2023, le marché domestique montre des signes évidents d’essoufflement. Pendant ce temps, les ventes de véhicules électriques et hybrides rechargeables explosent, portées par des batteries lithium-ion toujours plus performantes et une meilleure efficacité énergétique.
Les obstacles structurels à l’adoption
Plusieurs facteurs expliquent ce déclin marqué de la filière hydrogène :
- L’augmentation significative du prix du dihydrogène, particulièrement aux États-Unis, où même en Californie, région pionnière, la technologie peine à s’imposer
- Un réseau limité de stations de recharge hydrogène, rendant la distribution d’hydrogène et le « faire le plein » complexes au quotidien
- Un prix d’achat peu compétitif : la Toyota Mirai, comme d’autres véhicules à pile à combustible, est commercialisée à partir de 73 000 euros, bien au-delà des voitures électriques équivalentes, même en tenant compte du bonus écologique
- Un rendement énergétique problématique : la conversion de l’énergie électrique en hydrogène par électrolyse, puis sa reconversion en électricité via la pile à combustible (PAC), génère plus de pertes que la charge directe d’une batterie lithium-ion
- La concurrence des véhicules tout électrique, qui bénéficient d’une autonomie croissante et de temps de recharge optimisés grâce aux bornes de recharge rapide
Un marché de niche face au succès de l’électrique
La marginalisation des véhicules à pile à combustible à hydrogène dans le secteur automobile devient évidente au regard des chiffres globaux. En 2023, seulement 14 451 véhicules équipés de cette technologie ont été vendus dans le monde, principalement répartis entre deux modèles : le SUV Hyundai Nexo et la Toyota Mirai. À titre de comparaison, Tesla Motors vend plus de Model S en un mois que de Mirai en un an. Ces chiffres paraissent dérisoires face aux millions de véhicules électriques et hybrides vendus mondialement, portés par des constructeurs comme Volvo, Mercedes, ou Kia, qui investissent massivement dans la mobilité électrique.
Des constructeurs divisés sur l’avenir de la technologie
Malgré ces résultats décevants, certains acteurs maintiennent leur engagement dans la technologie hydrogène. Toyota poursuit le développement d’une nouvelle génération de pile à combustible, optimisant l’interaction entre l’anode, la cathode et l’électrolyte, tout en travaillant sur des moteurs à combustion interne fonctionnant au dihydrogène. BMW et Air Liquide poursuivent leurs recherches, tandis que des entreprises comme Faurecia développent des systèmes de stockage haute pression. Le CEA et l’ADEME continuent d’explorer le potentiel de l’hydrogène produit par énergies renouvelables (éolien, photovoltaïque).
Cependant, d’autres constructeurs automobiles se montrent plus sceptiques. Le groupe Volkswagen et Tesla, leaders du véhicule électrique, ne croient pas à l’avenir de l’hydrogène dans l’automobile particulière, préférant concentrer leurs efforts sur les batteries lithium-ion et le développement du réseau de bornes de recharge.
Vers une réorientation stratégique inévitable
Face à ces chiffres alarmants et aux défis structurels persistants, l’avenir des voitures à pile à combustible pour le grand public semble de plus en plus compromis face aux véhicules électriques et hybrides rechargeables. La question n’est plus de savoir si cette technologie zéro émission (ne rejetant que de la vapeur d’eau) va se généraliser dans le parc automobile, mais plutôt combien de temps les constructeurs pourront continuer à investir dans le développement de cette motorisation alternative. L’hydrogène pourrait finalement trouver sa place dans les transports lourds, comme les camions, les autobus, ou dans des applications stationnaires, où les contraintes de stockage et d’autonomie sont différentes de celles des véhicules particuliers.